Sans masque by Truda Rosenberg

Sans masque by Truda Rosenberg

Auteur:Truda Rosenberg [Rosenberg, Truda; Klein-Lataud, Christine]
La langue: fra
Format: epub
ISBN: 9782760319295
Éditeur: Les Presses de l'Université d'Ottawa
Publié: 2010-08-15T00:00:00+00:00


VIII

La beauté au milieu de l’ordure

Plus tard, je me suis retrouvée à Wilhelmshafen, un camp de travail pour Aryens. Il faut souligner que je prétendais être une non-Juive, masque qui me permettait de partager les expériences et les conditions difficiles dans lesquelles vivaient de très nombreux jeunes gens venus de divers pays européens. Nous avons été enlevés, rassemblés dans les rangs de l’Organisation Todt par les Allemands et leurs collaborateurs. Nous étions en fait considérés et traités comme des esclaves et nous étions mis au service illimité et arbitraire d’un État totalitaire impitoyable. Beaucoup n’ont pas survécu au travail ou à la guerre. Mon expérience personnelle a eu lieu aux camps de Pütnitz et de Wilhemshafen. L’Organisation Todt a réussi à arracher brutalement à leurs activités quotidiennes seize mille jeunes gens qu’elle a déportés dans des camps de travail. En général, elle faisait sans cesse passer les jeunes d’un camp à l’autre, selon les besoins.

Faute d’un meilleur mot pour désigner ce processus, j’utiliserai à regret conscription. Une fois « conscrit » dans l’Organisation, on recevait une carte d’identité. Aucun salaire. Ils nous nourrissaient à peine, et pourtant, la vie dans ces camps était fantastique si on la comparait aux camps de travail destinés aux Juifs. Après une dure journée de travail, il nous restait à tous un peu d’énergie pour chanter, jouer de l’accordéon ou de l’harmonica, parfois même pour danser dans la salle commune que nos gardiens appelaient Kulturhaus. J’étais parfois avec de jeunes Polonais chrétiens, parfois avec des employeurs allemands, mais toujours esclave. J’évitais les contacts avec les autres travailleurs de peur d’être reconnue comme Juive. En conséquence, je jouais le rôle d’une personne timide, renfermée, tranquille, présente mais sans participer à aucune activité sociale. Un jour, assise sur un banc de la Kulturhaus, je m’absorbai dans l’état de ma « garde-robe ». Il n’y avait pas grand-chose à regarder. En fait, tout ce que je possédais était sur moi, en couches superposées, parce qu’il n’y avait pas de vestiaire, et que ce n’était pas un problème. Je possédais en tout et pour tout un chemisier blanc qui virait lentement au gris, une veste d’homme et une sorte de manteau pour femme de la Luftwaffe. La pièce la plus importante à examiner était mes bottes d’équitation, les seules chaussures que je possédais à l’époque. Comme j’avais toujours les pieds mouillés et froids, il était nécessaire d’examiner les semelles. Je portais des chaussettes multicolores, la variété des couleurs venant de l’extraordinaire assortiment de laines utilisées pour les repriser.

J’étais en train de les retirer quand les gens autour de moi ont manifesté une excitation soudaine. Un nouveau groupe arrivait. Ils criaient et riaient, parlaient dans toutes sortes de langues, faisaient connaissance avec nous. Quelqu’un annonça que c’étaient des étudiants en médecine mobilisés par l’Organisation qui venait de les rafler dans les rues de divers pays d’Europe.

Pendant que j’étais là, avec dans les mains mes bottes hors d’usage, je me rendis compte qu’il y avait un jeune homme devant moi, qui regardait aussi mes bottes et tendait la main vers elles.



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